LE CERCLE DES NEIGES : chronique

04-01-2024 - 14:23 - Par

LE CERCLE DES NEIGES : chronique

Le meilleur film de Juan Antonio Bayona, c’est celui-là, sa deuxième incursion dans le genre codifié du film catastrophe. Époustouflant.

 

Dans THE IMPOSSIBLE, une vieille femme disait à un enfant qu’on ne pouvait pas distinguer depuis la Terre les étoiles éteintes et les étoiles vivantes. Dans LE CERCLE DES NEIGES, parole de victime, rien ne sépare plus les survivants des morts. Les uns ont dû manger les autres pour subsister. C’est ce tabou transgressé qui a rendu célèbre et spécial le crash de l’avion Air Force Flight 571 en 1972, au beau milieu de la Cordillère des Andes, à plus de 3000 mètres d’altitude. Il a fallu deux mois et douze jours aux autorités pour retrouver l’épave et au final 16 personnes sur 45. Trente ans après LES SURVIVANTS, premier récit de l’accident par Frank Marshall, c’est moins l’anthropophagie et les chiffres extraordinaires qui intéressent Juan Antonio Bayona, que le périple physique et mental infligé à ces rugbymen uruguayens et leurs accompagnants, leur parcours spirituel. Ainsi, le spectaculaire et le philosophique se disputent l’écran. À l’instar du tsunami de THE IMPOSSIBLE, déchaînement de la nature et apnée des sens, le crash de l’avion raconté par Bayona est d’une violence rarement vue, mélange d’ingénierie mécanique poussée dans ses retranchements et abstraction organique extrême. De là, s’ensuit un traitement doloriste des faits, mais jamais complaisant : gelures, fractures, infections, ecchymoses, maladies, hallucinations. L’homme, faible, réduit à sa place la plus insignifiante dans l’écosystème mais aussi, à son rôle d’animal résistant et résilient. Une drôle d’expérience scientifique où le corps et l’esprit dialoguent et micro-subsistent dans l’inertie, le silence et le blanc monotone de la neige. On ne sait pas grand-chose de ces hommes et de ces femmes, et pourtant, l’exercice d’identification est total, entre ce qui est frontalement montré par Bayona et ce qu’on est capable d’imaginer. Alors que les cadavres et les vivants se mêlent, il n’y a plus à l’écran qu’un entre-deux-mondes de glace, comme seul dans l’univers. Moins commercial et hollywoodien que THE IMPOSSIBLE, déjà graphique, angoissant mais légèrement manipulateur dans ce qu’il faisait subir à la famille, ce CERCLE DES NEIGES est beaucoup plus sec, factuel, alors même qu’il rapproche sa caméra de ses personnages. Il adopte même la voix off de l’un des passagers, Numa (la découverte Enzo Vogrincic Roldán), pour mieux raconter de l’intérieur le calvaire qui suivra l’accident. C’est cette voix qui nous permet de comprendre l’indicible, l’enfer de ceux qui sont rentrés. Peut-être sur la fin, fait-elle double emploi avec l’imagerie christique que Bayona surexploite. Mais peu importe, il n’y a pas à finasser quand on filme la bataille que mènent le corps et l’esprit face au néant, une histoire que seuls le recul, l’analyse et la compassion ont pu permettre de raconter.

De Juan Antonio Bayona. Avec Enzo Vogrincic Roldán, Agustín Pardella, Matías Recalt. Espagne / Uruguay / Chili. 2h24. Sur Netflix le 4 janvier

Note : 4

 

 

 

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